La formation professionnelle et le secteur culturel : pistes de réflexion

 La formation professionnelle et le secteur culturel : pistes de réflexion

Depuis son lancement en mars 2024, le programme Massari a accueilli plus de 450 bénéficiaires sur plus d’une trentaine de formations et masterclass, avec comme principal objectif : consolider la trajectoire professionnelle des acteurs culturels sur le territoire tunisien.

En effet, depuis plus d’une dizaine d’années, la Tunisie montre un dynamisme culturel exceptionnel : ouverture de nouveaux espaces sur le territoire, multiplication des rencontres et colloques, augmentation de la production cinématographique, création d’événements culturels et festivals, nouveaux acteurs dans la société civile. Face à cette effervescence, le secteur tend à se professionnaliser. 

Grâce à l’expertise de six structures culturelles tunisiennes Al Badil, L’Art Rue, Echos cinématographiques, Minassa, Safahat, et le Syndicat des librairies, distributeurs, importeurs et exporteurs du livre (SLDIEL), des modules de formation culturelle très souples, courts, sur des sujets très divers permettent d’accélérer la carrière des professionnels suivant trois axes : artistique (contenu), administratif (métiers qui entourent la production de contenu artistique) et enfin technique. Le succès que rencontrent les formations montre la demande des professionnels du secteur en termes de formation et de réseautage. 

Afin de pouvoir croiser expériences et réflexions autour du programme et de la question de la formation professionnelle, plus de 80 personnalités du monde culturel se sont réunis le 13 septembre 2024 pour un temps de rencontres et d’échanges.

Le but de cette rencontre est de réfléchir sur le développement de cycles de formations sur le moyen et long termes sur le territoire en tenant compte de ses spécificités et de fédérer les acteurs de la culture sur les thématiques abordées durant le programme Massari.

Trois ateliers d’échanges et de réflexion ont été proposés d’où ont été issues des conclusions et des recommandations.

Le premier atelier a concerné le financement et la coopération. Pour mettre en place des cycles de formation et faire monter en compétences les acteurs du secteur culturel, il est indispensable de réfléchir collectivement le rôle de la coopération et les besoins de financement : quel est le rôle de l’Etat ? Comment financer ? Quelle doit être la place de la coopération internationale ? Est-ce que cela doit être une coopération institution/purement financière/mise à disposition de compétences ? Qui a déjà reçu un financement pour des formations ? Les atouts ? Les limites ?

Les discussions ont souligné la nécessité de mobiliser les acteurs privés dans le financement des formations culturelles, d’impliquer l’Etat à travers différents ministères et des structures locales, l’assouplissement de l’administration dans la mise en place des projets. Quant à la coopération internationale, il est important de repenser cette notion dans un mode plus égalitaire et collaboratif, en particulier dans le cofinancement et le partage de compétences. Un meilleur partage des responsabilités et des attentes mutuelles est essentiel pour optimiser cette relation.

Enfin concernant le financement lui-même, les participants ont insisté sur l’importance du réseautage et de la diversification des financements afin de réduire la dépendance et de garantir une plus grande flexibilité et résilience dans la conduite des projets.

Le second atelier abordait la base de la culture qui est la création. En effet, l’artiste doit suivre frontalement trois axes : la création, la production et la diffusion. L’idée de l’atelier est de comprendre les enjeux de formations sur ces trois axes. Quelles sont les formations existantes sur le territoire ? Quels sont les atouts ? Les manques ? Dans la création comment arriver à créer par rapport aux problématiques d’un territoire ? y a-t-il une spécificité tunisienne ? Quels sont les besoins en termes de production ? Avec qui l’artiste doit-il collaborer ? Y a -t-il des besoins en termes de production qui manquent ? Comment y pallier ? La diffusion et la mobilité sont-ils les deux piliers de la visibilité ? Comment répondre au développement économique d’une activité ? La collaboration avec l’étranger est-elle indispensable pour la diffusion ? Quels sont les besoins en termes de formation à travers ces questions ?

Les artistes, créateurs, ont besoin d’être structurés dans le processus de création. Cette phase nécessite pour eux un meilleur accès aux outils. L’artiste a besoin de nourrir son œuvre, de maîtriser les outils pour une meilleure inspiration, une meilleure structuration de la phase de création et d’idéation du projet artistique.

Pour cela, il est nécessaire d’être formé au plaidoyer artistique et de connaître les droits liés à la création (diffusion, reproduction, …).

Les besoins sont très importants concernant la production. Les formations manquent et l’artiste se doit de tout faire. La mise à disposition d’outils en ligne pour la formation pourrait être très utile. La connexion avec les grandes écoles pour le partage et l’échange ainsi qu’un partenariat académique/professionnel sont essentiels pour professionnaliser cette partie de la création artistique.

Enfin il est nécessaire de comprendre toute la chaîne : de la production artistique à la diffusion jusqu’aux publics en passant par les acteurs impliqués dans le processus (curateur, agent, éditeur, galeriste, distributeur, diffuseur, communicateur, tourneur, commissaire…). En établissant plus de collaboration, de partenariat, d’options qui engagent d’autres acteurs, comme l’éducation nationale, les maisons de jeunes, la société civile, les institutions publiques, l’artiste se sentira moins isolé et pourra plus s’ouvrir sur son environnement.

Le dernier atelier portait sur la gestion des projets culturels.  Il existe de nombreuses formations en Tunisie depuis quelques années sur la gestion de projets culturels. Mais n’y a-t-il pas aussi un manque dans la formation des formateurs ? Qu’est-ce qu’un projet culturel ? Qui est à même de construire un projet ? Quelles formations pour passer de l’idéation à la gestion ? Comment toucher les publics, comment faire le lien entre culture et public ? Comment distinguer communication et médiation ? Comment gérer la pérennité d’un projet (programme/événement) ?

Dans un premier temps, les participants ont défini les compétences d’un porteur de projet : engagement, implication, passion en apprentissage continu, esprit créatif et innovant, sens de leadership, ouverture d’esprit, capacité à déléguer et à travailler en équipe. Dans ce domaine il existe des formations sur le grand Tunis qui mériteraient d’être décentralisées mais aussi d’être plus ciblées et accompagnées d’un véritable mentorat. En effet, au vu de l’hétérogénéité du territoire, une formation qui tient compte des contextes est plus pertinente.

Les discussions ont aussi porté sur la communication et la médiation culturelle en différenciant les deux termes afin de mieux définir les besoins en formation :

• La communication est la mise en valeur et approche marketing d’un projet et de son image. Elle donne de la visibilité au projet auprès d’un public externe à travers un ensemble d’actions ponctuelles.

• La médiation est centrée sur les relations humaines selon une approche co-construite avec le public, une approche enracinée dans la relation grand public, génératrice de connexion, de synergie et de réseau. Elle a pour objectif de sensibiliser le public et de le faire adhérer aux valeurs du projet.

Il est nécessaire de développer des formations pour établir une connexion significative entre la culture et le public, et donc de créer des formations spécifiques sur la médiation et le secteur culturel. 

Pour terminer, il a été question de la pérennité d’un projet culturel. En effet, le projet qui s’inscrit sur le long terme a comme atout la transmission impactante, la durabilité et l’adaptation. Il peut ainsi évoluer, s’affirmer, être consolidé et construit. Un événement ponctuel, en revanche, a comme atout de favoriser l’expérimentation, de produire de la visibilité et de générer des ressources. Pour cela il est nécessaire de former les porteurs de projets sur une connaissance globale du secteur culturel par les acteurs, d’une mise en réseau, d’échange d’expertise et de bonnes pratiques et enfin d’entraide dans l’écosystème.

Ces échanges denses et riches ont conduit à des recommandations. En voici les principales émises à l’issue de cette journée :

• Adapter les formations aux compétences évolutives du marché des arts et de la culture. 

• Connaître la chaîne du créateur au diffuseur quelque soit le domaine.

• Créer des liens intersectoriels. 

• Diversifier les formats des formations en ligne, présentiel, conférence, visite, atelier de réflexion, mentorat, coaching, etc. afin de s’adapter aux différents styles d’apprentissage.

• Encourager l’entrepreneuriat culturel : Former les acteurs du secteur culturel à l’entrepreneuriat, en leur fournissant des compétences en gestion financière, en marketing et en développement d’activité. 

• Explorer des modèles de financement participatif (crowdfunding). 

• Favoriser l’émergence d’incubateurs culturels et la mise en place des espaces d’incubation qui offrent des espaces d’expérimentation et d’innovation tout en impliquant le public.

• Favoriser les échanges entre médiateurs culturels et capitaliser sur leurs expériences pour favoriser l’apprentissage et le transfert de bonnes pratiques.

• Former à la création de canaux de diffusion et à la diffusion sur les réseaux sociaux et à l’élaboration des discours adaptés aux spécificités de l’œuvre et celle du territoire.

• Former sur la législation et les droits liés au statut de l’artiste et à la diffusion de la production artistique. 

• Former aux métiers de la diffusion, aux spécialisations : agent d’artiste, tourneur, éditeur, distributeur, curateur,… 

• Former des formateurs et des mentors capables d’assurer la transmission des connaissances et le transfert des compétences à un public plus large, notamment dans les régions.

• Former en conservation, archivage, documentations des parcours et des œuvres artistiques. 

• Former et accompagner l’artiste, émergent ou confirmé, aux outils d’expression et de création, à formuler et développer son idée, son projet et au plaidoyer culturel et artistique.

• Former les éducateurs de l’éducation nationale, les éducateurs des maisons des jeunes, maisons de culture. 

• Former les publics (adultes jeunes et enfants), les sensibiliser à la consommation des arts et les engager dans la chaine de diffusion. 

• Mettre en place des formations sur plusieurs territoires (inter-pays).

• Mettre en place des plateformes de mise en réseau permettant aux acteurs culturels de partager des ressources, des expériences et des bonnes pratiques.

• Mettre en place des résidences artistiques et créer des espaces de création.

• Plaidoyer pour la pérennité de projets culturels.

• Proposer des formations spécifiques en tenant compte des particularités régionales et culturelles de la cible.

• Sensibiliser à l’importance de l’engagement communautaire en impliquant les membres locaux dans la conception et la réalisation des projets culturels.

• Sensibiliser davantage à l’importance d’intégrer la communication et la médiation culturelle dès la conception du projet.

• Valoriser les compétences des acteurs culturels.

SLDIEL

Syndicat des libraires et distributeurs importateurs et exportateurs du livre

Leave a Reply

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *